Twixt : retour vers un cinéma primal
A 73 ans, Francis Ford Coppola ne semble jamais avoir été aussi jeune. S'il y a des carrières de cinéastes hors du commun, celle de Coppola en est sûrement l'exemple le plus émouvant. Dans Twixt, le réalisateur nous convoque dans un monde onirique et gothique, où les enfants côtoient les vampires, où le temps semble figé. De l'épouvante mais aussi de la tendresse, sublimées par une utilisation presque mystique du numérique.
Une fascination pour les origines
Nous y suivons la quête d'un romancier qui ne peut se pardonner le décès de sa fille, un personnage qui n'est pas sans rappeler Coppola lui-même. Troublante correspondances en effet que ce mal d'inspiration, ce décès d'un enfant, qui n'est pas sans rappeler la perte du fils de Coppola, dans des conditions identiques à celles dépeintes dans le film. Il est difficile de déployer la trame de Twixt tout comme il était difficile d'expliquer toute la dimension sensitive et romanesque de L'Homme sans âge. Val Kilmer broie du noir, dédicace ses romans de sorcières dans de petites villes américaines perdues, et en profite pour se perdre lui-même dans de longues rêveries, converser avec Edgar Allan Poe, rencontrer la diaphane Elle Fanning, pour tenter de déjouer un complot passé, le terrible drame d'enfants massacrés qu'il ne peut plus sauver. C'est sur cette frontière entre impressionnisme et expressionnisme, rêve éveillé et cavalcade brumeuse que Twixt continue d'élaborer une nouvelle carrière pour Coppola : celle d'un expérimentateur, d'un touche-à-tout, sensible mais sûr de lui, délaissant la démesure d'un Apocalypse Now pour se recentrer sur ses troubles intimes.
Il nous le disait lui-même durant l'entretien qu'il nous a accordé, « j'ai toujours eu le sentiment de décliner ». Plutôt que de déclinaison, nous parlerons de décroissance, de retour au cinéma d'attraction et de sensation, d'autant plus facile à mettre en oeuvre aujourd'hui que la technologie numérique permet toutes les excentricités, toutes les modifications de l'image ; donc d'ouvrir les portes d'un univers à fleur de peau, façonné dans ses moindres détails factices. Coppola vieillit et n'a pourtant jamais semblé aussi obnubilé par les origines, la descendance, la transmission. De L'Homme sans âge et la recherche du proto-langage à Tetro où Vincent Gallo et Alden Ehrenreich essayent de bâtir la famille qu'ils n'ont jamais eue, il est sans cesse question de bonds dans le passé, de remémoration, et inévitablement de regrets.
Retour aux origines du language, extrait de L'Homme sans âge
Palettes de sentiments numériques
La famille de Coppola est bien connue : son père Carmine, compositeur de musique, sa soeur Talia Shire (Adrienne dans Rocky), et son imposante descendance : Sofia Coppola et ses cousins Nicolas Cage et Jason Schwartzman. S'éloignant depuis cinq ans des chroniques contemporaines (Apocalypse Now), des fresques imposantes (Le Parrain) ou d'autres histoires de l'extraordinaire au quotidien (Peggy Sue s'est mariée, Jack), le cinéaste remonte le temps, fait du cinéma « d'étudiant » comme il le dit lui-même, et se rapproche ainsi d'une culture de l'effroi passéiste, proche de George Méliès et des histoires macabres d'Edgar Allan Poe. C'est tout le paradoxe du numérique, son énergie vivifiante : comme son comparse Martin Scorsese, Coppola utilise notamment la 3D de façon ludique, pour mettre en perspective les espaces sinueux de ses songes, avoir un pouvoir total sur ses images, et faire du cinéma de pur attraction. Ouvrir la porte vers un monde contigu au nôtre qui paradoxalement, avec l'utilisation de la 3D, ne s'approche pas du réalisme mais acquiert plutôt une étrangeté supplémentaire.
Les restrictions sur les derniers films de Coppola sont de plusieurs ordres : financières d'une part, mais aussi personnelles. En effet Coppola écrit désormais tous les scénarios de ses films et tient à leur donner une résonance intime, retravailler des motifs qu'il connaît bien (la famille) pour exprimer avec la candeur et la brutalité de l'image numérique un monde de nostalgie et de doutes. Twixt devient ainsi un grand mélodrame. Coppola nous conte avec précision la peine qu'il ressent encore à ne pas avoir pu sauver son fils, Gian-Carlo, mort il y a près de vingt ans. C'est ce qu'il y a de plus bouleversant, cette volonté de se livrer sur l'une des plus sombres parts de sa vie, et de la tisser avec la fiction, en tirer une image symbolique, l'image la plus macabre et attirante possible. Celle que définit Poe comme ressemblant à « une jeune fille éplorée » dont on partage la peine sans pouvoir jamais la consoler.
Rencontre avec un Vampire, extrait de Twixt
Que deviennent alors les grandes idoles américaines des années '70 pourrait-on se demander ? Martin Scorsese et Steven Spielberg mis à part, il faut croire que l'avenir du cinéma américain se trouve dans la transmutation, le jeu sur les supports (Coppola proposait un montage-live du film lors de sa première présentation), et donc l'édification d'univers imaginaires largement facilités par les techniques actuelles. Comment gagner la compétition quand on affronte certains des plus beaux films américains des cinquante dernières années, quand on est finalement en compétition avec soi-même ? En changeant les règles, en changeant de terrain de jeu, en troquant le monumental contre l'intime, le présent contre le souvenir, la raison contre la sensation. « J'ai toujours douté de la réalité » avoue Coppola. Il a désormais à sa disposition toute la connaissance technique pour nous en faire douter nous aussi.
Jouez au Moviequiz Francis Ford Coppola pour gagner un iPad 3
Images : © Pathé Distribution