Le cinéma d'animation grand public est-il condamné à plaire aux enfants ?
On a régulièrement l'occasion de se poser la question, mais la sortie cette semaine du Conte de la princesse Kaguya nous permet de lui donner un éclairage particulier : pourquoi considère-t-on généralement que les films d'animation sont avant tout destinés aux enfants ?
Il est difficile, en découvrant la douceur du trait et l'économie de couleurs dans les quelques plans de la bande-annonce du nouveau film de Takahata, de ne pas avoir la paresse de ne voir là qu'une adorable petite choses à laquelle on emmenera éventuellement sa nièce. Ne vous fiez pas aux apparences, Le Conte de la princesse Kaguya a tout du grand film d'animation conçu pour plaire aux petits comme aux grands. À tel point, en fait, que le spectateur adulte puisse regretter que le film ne lui ait pas été exclusivement destiné.
L'enfance de l'art
Le cul entre deux chaises, le cinéma d'animation est-il plombé par l'impératif de plaire aux enfants ? Et ces deux quesions sous-jacentes : Pourquoi la norme du cinéma d'animation est-elle de s'adresser – disons au moins – au jeune public ? Pourquoi les premiers films montrés aux enfants sont-ils – en très grande majorité – des films d'animation ?
Le film de Takahata est par moments, dans sa forme, d'une rare radicalité. Grands coups de fusain, l'animation se permet tantôt de ne pas emplir l'écran, se contentant de quelques traits grossiers, avant de reprendre ses droits sur le cadre dans une déchirure enfiévrée. Visant un certain épuisement de la forme, il se rapproche en son coeur de l'image mentale avec une éblouissante séquence de fuite dont la boucle ci-dessous présente un court extrait :
À cet instant du film, ce qui défile à l'écran est une matérialisation si proche des sentiments en jeu que la forme expérimentale ne peut poser le moindre problème au spectateur, qu'il soit enfant ou adulte. L'animation descend sous le langage et explose la représentation au profit d'une évidence régressive. Des yeux totalement vierges pourraient boire ce crépitement d'ombres et de traits et comprendre totalement, absolument, les émotions de Kaguya.
Le champion et les brassards
Pour autant, tout le film ne maintient pas cette audace formelle et narrative. Adapté d'un conte très populaire au Japon, le récit s'appuie sur une structure très classique et prend un temps souvent excessif à déployer ses enjeux. Mais la structure programmatique du conte n'est pas seule en cause. Il y a une manière de rabacher et d'expliciter toute l'histoire propre aux films destinés aux enfants. On a ainsi l'impression frustrante de voir un champion olympique qui se forcerait à nager avec des brassards. À l'inverse, cette contrainte impose une certaine discipline poussant à la clarté et dans le cas présent le sujet de cet «anti-Mulan» incitait par ailleurs à s'adresser avant tout aux plus jeunes.
Dans la cour des grands
De Bill Plympton à Sylvain Chomet en passant par Marjane Satrapi, les films d'animation "pour adultes" restent, malgré quelques succès occasionnels, relativement confidentiels. Curieusement, certains des titres les plus "adultes" ont d'ailleurs en commun une technique qui, bien qu'employée pour le Blanche Neige de Disney par exemple, ne relève pas vraiment de l'animation traditionnelle. La rotoscopie utilisée pour Renaissance, A Scanner Darkly ou Valse avec Bachir est en effet un procédé consistant à relever les contours de prises de vues réelles. Le spectateur adulte ne pourrait donc tolérer en matière d'animation que la peinture d'une surcouche de réalité ? Le Congrès d'Ari Folman aborde ce type de questionnement sur le fond comme sur la forme.
Ces dernières années, quelques films ont ouvert une éventuelle nouvelle voie : d'authentiques films d'animation imaginés comme des films destinés aux adultes quoi qu'accessibles au jeune public. L'audace formelle, la complexité des thèmes et la fluidité de la narration font de quelques Pixar (Wall-E, Là Haut, Toy Story 3), du dernier film de Miyasaki (Le Vent se lève) ou du prochain de Dreamworks (Dragons 2) de vrais films pour adultes, sans concessions particulières, qui ont délégué au marketing seul la mission de rassembler tout le monde en salles. Quand on sait nager, pas besoin de bouée.
Après, je pense qu'on retrouve dans certains shonen grands public ce côté "pour enfants mais pas que" que l'on a chez Disney/Pixar (je pense par exemple à Full Metal Alchemist, Death Note ou même One Piece, où clairement, le spectateur adulte aura un niveau de lecture plus profond que la cible de base).