Souleymane Démé, le corps dansant de Grigris

A l'affiche de Grigris, de Mahamat-Saleh Haroun (sorti le 10 juillet), l'acteur Souleymane Démé a été l'une des révélations du festival de Cannes 2013. Rencontre avec un artiste singulier.

«Ça me donne du courage.» Cette phrase, Souleymane Démé l'a répété tout au long de la conversation lors de notre rencontre il y a quelques jours en marge de la présentation de Grigris au festival Paris Cinéma. Du courage, ce jeune burkinabé de 36 ans n'en a pas manqué pour parcourir le chemin qui l'a mené en 2011 à la rencontre de Mahamat-Saleh Haroun. Le cinéate tchadien, habitué du festival de Cannes (Prix du Jury en 2010 et membre du Jury de De Niro l'année suivante), raconte : «Je me suis retrouvé au FESPACO à Ouagadougou, et j'ai assisté à un spectacle où j'ai découvert Souleymane Démé un danseur handicapé de la jambe gauche : quand je l'ai vu entrer sur scène, je me suis dit que je tenais le protagoniste de mon prochain film.».

L'acteur décrit lui-même cette rencontre avec simplicité, mais non sans une certaine fierté en pensant qu'il est ainsi devenu un héros de cinéma :

Son handicap donne à Souleymane Démé sa démarche et sa silhouette si particulière. Pour autant, celui-ci ne vit pas son corps, littéralement désarticulé, comme un fardeau. A l'image de son personnage dans le film, il croit dur comme fer à sa bonne étoile. «Mon personnage ne s'appelle pas Grigris par hasard. Ça porte chance. Moi je peux faire beaucoup de choses, et c'est pareil pour Grigris. Réellement, quand je danse c'est comme si j'étais une autre personne. Et si je danse comme je danse, je peux faire beaucoup de choses...».

L'acteur borne ses phrases de longs silences. Pas forcément très à l'aise dans l'exercice, il confie qu'il aime malgré tout beaucoup faire ces interviews : «Ça me fait penser au film. Ça me donne des idées. J'aime repenser au film et en parler.» De temps en temps d'ailleurs, les silences se font plus courts et le rythme s'emballe. Il parle de son enfance et de son travail, du fait qu'il se sentait au Tchad comme chez lui, qu'on le prennait pour un Tchadien quand il allait danser le soir au maquis, il évoque le plaisir qu'il a eu à tourner avec Anaïs Monory : «Avec Mimi, j'étais content. Elle est métisse, mais moi c'est comme si c'était une blanche. J'étais content parce que je n'avais pu discuter comme ça avec une blanche.»... et puis, à nouveau, il hésite, ralentit et se répête : «Ça me donne du courage !» Pour Haroun : «Comme Souleymane est danseur et musicien, il a déjà le sens du tempo. Et il me semble que pour être comédien, outre une forme d'intelligence, il faut avoir le sens du rythme pour être dans la fluidité.»

Clairement le cinéma plait à Souleymane Démé : «chez nous on regarde beaucoup de films». Mais il se vit avant tout comme danseur. A ce titre il précise d'ailleurs : «le tournage m'a donné des idées pour la danse». Comme son personnage, et comme le film lui-même qui multiplie les genres, Souleymane Démé est un homme à tout faire : «J'ai également un autre travail, je suis réparateur, je réparte des portables, des frigos... je suis aussi mécanicien et électricien. Et la nuit je vais au maquis pour danser.» Difficile pourtant de lui imaginer un meilleur destin en le voyant danser :

Si Souleymane Démé, est l'auteur de ses chorégraphies dans le film, Mahamat-Saleh Haroun est intervenu sur une séquence qui a particulièrement marqué l'acteur : «Pour le film, j'ai enlevé mon pantalon, j'étais en culotte et j'ai dansé sur le toit. C'est Haroun qui m'avait demandé si je pouvais danser comme un enfant de la rue. Quand j'étais petit je n'avais pas d'argent, je n'avais qu'une culotte et un tricot. Haroun m'avait demandé de me mettre dans cette tenue et je refusais. Je ne voulais pas qu'on voit ma jambe. On est handicapé, mais pas dans la tête.» Comprenant la vision du cinéaste, l'acteur a finalement cédé et souligne à quel point cette expérience a inspiré sa danse. Le résultat est dans le film, une scène de nuit surréaliste, presque onirique, qui restera comme l'un des grands moments de l'année cinéma.