Michael Keaton n'a pas eu l'Oscar pour Birdman et c'est un scandale
C’est un dimanche, sous le feu des projecteurs d’Hollywood et devant des centaines de millions de téléspectateurs de par le monde, qu’a eu lieu l’accident. Un drame auquel personne ne s’attendait, et sûrement pas le premier intéressé : Michael Keaton n’a pas eu l’Oscar du meilleur acteur pour Birdman. Un scandale, et finalement un impair de plus dans la carrière de ce comédien au physique de présentateur télé qui n'aura jamais su se défaire totalement de son rôle de loser. Le rôle de sa vie.
Pour le jeune Michael, les malheurs commencent très tôt. Dès 1951, quand ses parents déclarent la naissance de leur fils à la préfecture de Coraopolis en Pennsylvanie (nous ne savons pas comment ça se passe précisément en Pennsylvanie, mais imaginons) et décident d’un commun accord d’appeler leur enfant… Michael. Où le problème ? Le véritable nom de famille de ce petit Michael, c'est Douglas. Oui, comme dans Michael Douglas. A peine né, notre bambin est affublé du même nom qu’un autre acteur dont ce n’est même pas le vrai nom... Plus tard désireux de se lancer dans la comédie, Michael sera donc obligé de changer de patronyme. Il optera pour "Keaton", en hommage à Buster Keaton. Celui dont on disait qu’il ne souriait jamais. Encore un indice troublant et annonciateur de la suite de la carrière du frêle Michael, qui n'aura effectivement pas souvent l'occasion de se réjouir.
Des débuts timides
Après avoir longtemps écumé les sombres bouges de Philadelphie, à tenter d’imiter Elvis Presley devant un public clairsemé et imbibé de Budweiser, Michael parvient à rentrer dans le milieu du cinéma. Oh, par une toute petite porte pour commencer : deux films de Ron Howard aux titres prophétiques (Les Croque-morts en folie et Gung ho : du saké dans le moteur) et quelques comédies de bas étage. Bref, il galère. Il connaitra même une sombre période capillaire, qu’il tente aujourd’hui de faire oublier en se tondant copieusement et régulièrement le cuir chevelu... Hasard ou coïncidence : c’est à ce moment précis que Michael croise le chemin d’un autre personnage à la chevelure problématique, un jeune chien fou échappé des studios Disney et jusqu’à présent auteur d’une seule petite comédie barrée : Tim Burton.
Une rencontre décisive
Car c’est avec Beetlejuice, farce macabre dont il tient le rôle-titre, que Michael explose en 1988. Carton au box-office, le film lance la carrière de son réalisateur. Michael y est tellement phénoménal, qu’il écrase presque littéralement ses deux partenaires à l’écran, Alec Baldwin et Geena Davis (ils reprocheront même à Burton d’avoir mis leurs personnages un peu fades de côté, au profit du fantôme lubrique interprété par Michael). La suite, quasiment tout le monde la connaît : Burton s’attelle à l’adaptation de Batman, et malgré les cris effrayés de la Warner, parvient à imposer son ami Michael dans le rôle du vengeur masqué. Oui, à cette époque, il est encore possible de voir un bonhomme de 70kg tout mouillé dans un costume de super-héros. Un choix totalement logique : Keaton incarne un Bruce Wayne fragile, maladroit et peu sûr de lui (mais milliardaire) qui, une fois protégé derrière son masque d’homme chauve-souris, gagne en assurance et devient un vrai super-héros.
On est donc très loin des standards du super-héros musculeux d’aujourd’hui (tels Christian Bale et bientôt Ben Affleck). Malgré les craintes initiales de la Warner - d'autant plus justifiées qu’il s’agissait alors du premier film de studio de Burton, âgé d'à peine 30 ans - le film est un succès. Le terme de « succès » est même beaucoup trop timoré pour illustrer l’ampleur du phénomène : c’est carrément un carton international, un choc planétaire, un véritable raz-de-marée qui propulse le couple Burton-Keaton au sommet d’Hollywood ! Sauf que Michael, lui, garde la tête sur les épaules. Il enchaîne simplement avec un petit thriller de John Schlesinger (Fenêtre sur Pacifique), une comédie policière un peu glauque (Un Bon flic), avant de retrouver Burton pour la suite de Batman, Batman le Défi. Une suite supérieure à l’original, encore plus tordue et complexe, dans laquelle Keaton excelle une nouvelle fois, avec ou sans son masque. Le film cartonne forcément moins au box-office, mais malgré cela, la carrière de Michael semble prête à décoller. Alors la suite, ce sera quoi ? Prendre les pépettes et aller tourner Batman 3, puis Batman 4, 5, 6, 12 ? Ce serait mal connaître Michael, qui préfère laisser cette basse besogne aux pleutres que sont Val Kilmer et George Clooney (qui iront se complaire dans les nanars fluos de Joel Schumacher).
Des choix douteux
Loin d’avoir le succès qui lui monte à la tête, Keaton préfère donc s’engager sur des projets qui lui tiennent à cœur : une adaptation shakespearienne de Kenneth Branagh (Beaucoup de bruit pour rien) et une excellente comédie de Harold Ramis (Mes Doubles, ma femme et moi en 1996, dans laquelle il interprète quatre rôles totalement déments). On ne s'interroge sur sa santé mentale qu'une fois, lorsqu’il collabore de nouveau avec Ron Howard en 1994, pour un petit film sympathique mais sans grand intérêt (Le Journal). Mais durant cinq ans, cinq longues années, la carrière de Michael ne décolle pas comme prévu. Elle a même plutôt tendance à plonger, malgré l’aide de Quentin Tarantino (pourtant pas le dernier lorsqu’il s’agit de relancer des carrières en perte de vitesse), qui le fait tourner dans Jackie Brown. Michael ne semble plus avoir la gnaque, et ce n’est pas en incarnant un rôle de méchant (son premier, et il est parfait) dans L’Enjeu de Barbet Schroeder qu’il va nous flouer, le Michael : il a clairement le moral dans les chaussettes.
La descente aux enfers
Une petite apparition (non-créditée) chez Steven Soderbergh (Hors d’atteinte, dans lequel il incarne le même personnage que dans Jackie Brown) ne peut empêcher l'inexorable plongeon : Michael est obligé de cachetonner. On commence avec l'aimable Jack Frost (où il se glisse dans le rôle d’un bonhomme de neige qui parle), et ni une ni deux, on finit dans le remake de la Coccinelle (La Coccinelle revient avec Lindsay Lohan) et dans diverses séries TV policières... Keaton tente de se relever, en passant à la réalisation en 2008. Le film s'intitule Killing Gentleman, et n’aura bien sûr aucun succès. Pire que ça, Michael se voit intenter un procès par les producteurs, ces derniers estimant qu’il aurait failli à son rôle de réalisateur, en perturbant volontairement le travail du monteur et en n’assurant pas la promotion du film. En gros, si le film a fait un four, c’est de sa faute et celle de personne d’autre. Le procès devrait avoir lieu au début du mois mars de cette année. Courage, Michael.
Birdman returns
C’est au moment où tout va mal que Michael aperçoit enfin la lumière au bout du tunnel. Après un bref retour sous les spotlights dans le remake pas si dégueu que ça de RoboCop, il reçoit une proposition qu’il ne peut pas refuser : interpréter un comédien en perte de vitesse après avoir connu un succès éphémère grâce à une franchise de super-héros. Forcément, ça lui parle. Et ce projet qui semble avoir été écrit pour lui, c’est Birdman de Alejandro Gonzalez Inarritu. Le film vaut ce qu’il vaut, mais la performance de Michael, elle, est inattaquable. En le voyant déambuler (habillé ou en slip, avec ou sans moumoute), on se dit qu’on a enfin retrouvé le Michael d’il y a 20 ans : ce comédien protéiforme, capable de passer d’un registre à l'autre en une fraction de seconde, d'altérer sa voix sur commande. Une véritable pile électrique, un rouleau-compresseur que rien n’arrête. Un monstre de charisme. Tout était donc en place pour sa consécration attendue, l’ultime récompense, celle dont il n’avait jamais osé rêver : une statuette du meilleur comédien de l’année remise par l’Académie. Sauf que cette Académie en a décidé autrement, en remettant le prix à Eddie Redmayne pour sa prestation dans Une Merveilleuse histoire du temps... Sauf notre respect pour Redmayne, cette défaite de Michael est un scandale. Alors on nous rétorquera "oui mais tu l’as vu dans le rôle de Stephen Hawking ? Il est très fort !" ; ça ne nous empêchera pas de penser que Michael représente dans Birdman la quintessence de ce qu’est et de ce que doit être un bon acteur, une performance totale signée d’un comédien au sommet de son art.
Dommage qu’Hollywood n’aime pas les histoires de come-back. On embrasse fort John Travolta et Mickey Rourke, tous deux nommés aux Oscars après une longue traversée du désert. Et tous deux battus sur la dernière ligne droite, respectivement en 1995 et 2009. Alors oui, Michael aurait dû gagner l’Oscar pour sa performance dantesque dans Birdman, c’est une évidence. Sincèrement, comment ne pas avoir le cœur brisé en le voyant glisser discrètement son discours de gagnant dans sa poche, juste après l’annonce de sa défaite ? Pauvre Michael…
Finalement, et tout bien considéré, Keaton aurait dû gagner cet Oscar dès 1989, pour sa performance dans Beetlejuice. Certes, il n'a pas été nommé cette année là, mais savez-vous qui a gagné la statuette du meilleur acteur, hein, on vous le demande ? Dustin Hoffman, pour Rain Man. Encore un rôle d’handicapé. Coïncidence ? Nous ne croyons pas…
Et je ne vous rejoins pas non plus sur la soi disant surévaluation des Batman de Burton.
Bref, je préfère penser à autre chose et rire encore une fois : https://bradscribe.f...2/balem-redmayne.jpg
Mais il s'est expliqué ensuite, donc pas de souci.
La tendance "handicapé/malade = rôle à oscars" a décollé à la fin des années 1980/début années 1990 avec Hoffman en autiste (Rain Man, 1989), Day Lewis en paralytique (My Left Foot, 1990), Pacino en aveugle (Le temps d’un week-end) et le doublé de Hanks en sidaïque puis simplet (Philadelphia et Forrest Gump), sans compter l’année dernière avec Mc Conaughey en malade.
Si on ajoute à cela le facteur "biopic/histoire vraie" que l’académie a toujours apprécié et qui est très tendance depuis une douzaine d’années avec pas moins de 8 statuettes pour des acteurs ayant joué dans ce type de films (Brody pour « Le Pianiste », Foxx pour « Ray », Seymour Hoffman pour « Truman Capote », Whitaker pour « Le dernier roi d’Ecosse », Penn pour « Harvey Milk », First pour « Le Discours d’un roi », Day Lewis pour « Lincoln » et enfin Redmayne), Michael Keaton aurait bien pu être boiteux ou manchot dans "Birdman", il ne pouvait pas gagner.