Pourquoi Hollywood rêve-t-elle de vous rendre amnésique ?
Si vous dormiez ou si vous n’étiez pas né pour voir les superproductions des années 1980, 1990 et même 2000, n'ayez aucune inquiétude : elles sont actuellement dans les salles. Après Jurassic World, et en attendant de nouveaux 4 Fantastiques et Spider-Man, c’est au tour de Terminator de faire l’objet d’une nouvelle version à la fois reboot, remake et suite. Pour une histoire de voyage dans le temps et donc de recommencement, la démarche n’a jamais été si opportune. Pour une fois. Car refaire ce qui a été fait et le vendre comme une nouveauté, c’est le credo des grands studios. Et maintenant qu’ils ont trouvé la touche reset sur les films, c'est sur vous qu'ils la cherchent.
Hollywood a fait un rêve. C'était dans Amour et amnésie, avec Drew Barrymore dans le rôle de la fille dont la mémoire reboote tous les matins, et Adam Sandler dans celui du garçon qui cherche à la conquérir encore et encore. Le père et le frère de l'héroïne font tout pour éviter qu'elle ne prenne conscience de sa situation, alors ils rejouent inlassablement la journée qu'elle s'attend à vivre en sortant de son lit : celle de son anniversaire. Et ça marche. Leurs surprises – qui n'en sont plus depuis longtemps – font tout le temps mouche. Y compris le cadeau, remis le soir dans son papier d'emballage pour être rouvert : une VHS de Sixième sens.
LE film dont la révélation finale joue un rôle capital à la première vision, occultant presque tout le reste. Ses deux hommes ont pris le parti de s'endormir devant, mais elle, elle écarquille de grands yeux quand survient le coup de théâtre qu'elle a pourtant vu plusieurs centaines de fois, saisissant les genoux de ses voisins pour réprimer un râle d'étonnement. « Qui aurait pu croire que [SPOILER] ? Vous l'aviez deviné, vous ? » leur demande-t-elle, toute excitée, avant de monter se coucher. Là voila la spectatrice idéale pour Hollywood. Celle à qui on peut servir inlassablement la même histoire, reposant sur les mêmes rebondissements, et qui les apprécie comme au premier jour. Le mauvais spectateur, c'est Phil Connors, le héros d'Un jour sans fin, le rabat-joie qui a le mauvais goût de vous raconter la fin du film dès le début de la projection, parce ce que tout ce qu’il voit, il l'a déjà vu ; ce film ou un autre, ils se ressemblent tous... Le bon amnésique, il n'existe pas forcément mais les studios font comme si, en se disant qu'à force de le souhaiter bien fort, leur rêve deviendra réalité.
Refaire pour améliorer ou pour trahir
« Lorsque le succès d'un film a été assez grand pour que son souvenir ait encore valeur commerciale, on ne se borne pas à remettre l'original en circulation, on refait le film ». C'est ce qu'écrit André Bazin, le plus grand critique de son temps et même d'après, dans un numéro des Cahiers du Cinéma de 1951. Contrefaçons avant l'établissement du copyright, tournage de multiples versions en fonction des langues; réactualisation afin de sortir dans les salles qui ne programment que des nouveautés ; etc. : le remake est aussi vieux que le cinéma. A son égard, deux écoles : l’américaine et la française. Philosophiquement, la première prône la perfectibilité. Pour elle, tout film peut être amélioré et il n’y a aucun problème à remettre cent fois sur le métier son ouvrage. D’autant que l’œuvre appartient à ses producteurs, pas à ses auteurs. Et pour les adaptations de comics, c’est encore plus défendable puisqu’il est dans l’ADN de certaines de ces BD d’avoir plusieurs vies, grâce à la succession des scénaristes et dessinateurs. Economiquement, il y a un credo simple : tant que le public aime quelque chose, on lui donne cette chose, jusqu’à ce qu’il soit gavé. L’école française, elle, ne place pas le film au-dessus de tout, mais son auteur. Refaire, c’est trahir une vision artistique, c’est faire du révisionnisme, c’est Orwell qu’on assassine, etc. et de cela nous en faisons une affaire personnelle. L’indignation de Paul Verhoeven, par exemple, n’est rien face à celle de ses fans français quand se profilent de nouvelles versions de Starship Troopers, Total Recall ou Robocop. Ici, on est à deux doigts de lui offrir l'asile politique.
C’est oublier que certains des meilleurs Hitchcock sont des auto remakes, que ceux faits par Scorsese sont encore plus excitants que les originaux (Les nerfs à vif, Les infiltrés), qu'Une étoile est née par George Cukor, ce n’est pas rien, etc. Et avant, le risque de remplacement, voire d’effacement, semblait plus grand qu'aujourd'hui. La nouvelle version remplaçait la précédente qui n’avait plus droit de regard. Aujourd’hui, home cinema, reprises en salles (même UGC fait du vieux) et restaurations, festivals de films de patrimoine, téléchargements légaux et illégaux : les films ne peuvent plus disparaître quand leurs versions 2.0 ou 3.0 débarquent en salles. Si vous n’aimez pas la jeunesse, rien ne vous empêche de rester scotché au vieux. Rien, vraiment ?
Ne pas confondre la suite du remake avec le remake de la suite ?
Récemment, Fox a fait retirer Les 4 Fantastiques et sa suite, Le Surfeur d'Argent, d’iTunes et de la plateforme de téléchargement d’Amazon. Raison invoquée : la présence de ces deux films sur la toile allait parasiter la promotion du reboot, prévu cet été, et entraîner des confusions. « Bon débarras » clament en chœur les internautes. D'accord, mais à partir de quel film le débarras arrête d’être bon ? Parce que les ayants-droits ne résonnent pas en termes qualitatifs, ne l’oublions pas. Ejecter le Hulk d’Ang Lee pour mettre à la place celui de Leterrier, ce ne serait pas bon. Déboulonner le Spider-Man de Sam Raimi avec celui fait par j’ai-oublié-son-nom, vous diriez quoi ? Et si on vous empêchait de revoir le Batman de Tim Burton parce que Christopher Nolan est passé par là, puis celui de Nolan parce que Zack Snyder est dans la place ?
Pour un peu, on serait reconnaissant au support physique d’être encore là, tant la perspective de voir coupé le robinet à vieux films est devenue concrète. Sauf que le DVD ou le Blu-ray, ce n’est pas la panacée non plus. Trouver son Robocop version Verhoeven en ligne, c’est possible, mais au rayon d’un grand magasin, quand la place manque et que le remake en truste déjà un paquet, c’est plus difficile. C'est comme si on n'effaçait pas votre vieux Robocop, mais qu'on enregistrait par-dessus... Vieux mon Robocop ? Oui, et votre Spider-Man (2002) est vieux lui aussi, votre Batman (1989) est même grabataire ! Parce que 13 ans, c’est le temps qu’il faut à un bébé pour devenir un ado, et 26 ans, celui qui permet au bébé en question de devenir un adulte en âge de produire un autre bébé. Pour un humain standard en tous cas, parce que pour un hollywoodien, vous pouvez remplacer les années par des mois si on se fie à la fréquence de redite des œuvres : cinq années écoulées entre Spider-Man 3 et The Amazing Spider-Man, trois ans entre The Amazing Spider-Man 2 et… quoi ? The New Amazing Spider-Man ?. Il n'a pas encore de titre mais il est déjà prévu pour juillet 2017.
Les cinémas d'aujourd'hui sont les vidéo-clubs d'hier
Si ado ou enfant, vous aimiez un blockbuster, vous aviez une chance de le revoir, clôné et mis au goût du jour, avec votre progéniture, mais on n’a plus le temps d’attendre que vous conceviez de nouveaux spectateurs candides. Alors on compte sur votre capacité à refouler, sur le bombardement quotidien de news qui fait en sorte qu’une info chasse l’autre dans votre esprit, sur la vitesse d’ensevelissement de vos souvenirs sous des tonnes de nouvelles qui finit par rendre lointain un truc survenu il y a quelques jours seulement. Ou un film vu il y a quelques mois seulement... Nous sommes tous des Drew Barrymore, non parce que nous oublions tout, mais parce que nous n’avons plus la place de nous souvenir de tout. Comme les rayons des grands magasins n'ont plus la place de vous présenter l'ancien à côté du nouveau. Le dernier film arrivé est le premier servi.
Bouh ! Méchants studios qui nous donnent les blockbusters que nous voulons voir, nous qui rejetons tout ce qui ne ressemble pas à du connu, de près ou de loin... Souvenez-vous de l'indignation numérique à la découverte du nouveau portail de Jurassic World, en CGI alors que celui du Park ne l'était pas ! Il a fallu un démenti officiel pour assurer que le portail serait bien en dur, comme chez Spielberg ; ce foutu portail que l'on voit 89 centièmes de secondes, montre en main, dans le film de Trevorrow...
John Carter ? Lone Ranger ? Jupiter Ascending ? Des fours au box-office. Les 4 Fantastiques et le Surfeur d'Argent, que le web semble tant honnir, c’est 250 millions de dollars gagnés au niveau mondial, alors que le premier - lui aussi un succès - s’était fait savater les côtes par les fans et la critique. Et d’ici la sortie du film, le trailer de Star Wars 7 devrait être la vidéo la plus vue sur le web. « Ah oui, mais Star Wars, c’est pas pareil ! » nous direz-vous. C’est une saga, c’est vrai, mais en quoi est-ce différent d’une franchise ? Fast & Furious 7, Saw 7 : fut un temps où on s’arrachait les cheveux en découvrant un 7 sur une affiche. On parle aux vieux grigous, là : Vendredi 13 numéro 7, Freddy 7, Police Academy 7, ce n'était pas du bon (quoique le Craven s'en sort pas trop mal), ça ne procurait pas de plaisir ; ne nous mentons pas. L’exploitation en salles d’aujourd’hui ressemble aux vidéo-clubs d’hier.
Faire de chaque film à grand spectacle une fan fiction
La production aussi, puisqu’on reste de plus en plus entre fans. Souvenez-vous : au début des années 2000, on réactive les films d'horreur devenus cultes de la même manière que les pulps de SF recrutaient leurs auteurs. « Vous êtes lecteurs, mais vous pouvez nous envoyer vos histoires et devenir des auteurs, parce que personne ne maîtrise la SF comme celui ou celle qui en bouffe à longueur de pages » proclamaient les magazines cheap. Même chose pour les remakes de grands films d’horreur : on les confie à des gars qui ont passé leur adolescence à user les VHS de Massacre à la tronçonneuse, La Colline a des yeux ou Zombie. Ils ont pour eux d'être des mordus de ces films, à qui on ne pourra jamais reprocher de manquer de respect à leurs modèles. Plus-value financière : le remake en salle sert à faire la promo du DVD de l’original, et vice-versa. Gagnant-gagnant.
Donner aux réalisateurs fans la possibilité de refaire leurs films préférés s’applique désormais aux superproductions. J.J. Abrams, Brad Bird et Colin Trevorwood sont des fans évidents de Spielberg, et leurs films, à des degrés divers, ressemblent par endroit à des fan fictions de luxe (fans des années 1980/1990 car ce sont les ados de cette génération qui sont aujourd’hui les adultes décisionnaires, mais c'est cyclique ; dans moins de 10 ans, on aura un remake de Matrix). C’est le moment où tout le monde est à la fois Drew Barrymore et son frère et son père dans Amour et Amnésie. Chaque projection de film devient l'équivalent d'une séance de diapos souvenirs, où le seul plaisir est de redécouvrir ou faire semblant de redécouvrir ce que l’on connaît déjà ; le confort du prévisible avec à peine un soupçon de nouveauté de ci de là...
Ne payer que pour ce que l’on est sûr de voir : ça donne Jurassic World, carton interstellaire, dont on ne sait s’il s’agit d’une suite, d’un reboot, d’un remake, tellement cette chose piétine sur place, à se détester d’arriver après Spielberg tout en lui faisant des bisous (des clins d’œil tellement gros que, même amnésique, on les reconnaît), à feindre l’étonnement – et nous avec, on est bon public – quand pour la 4ème fois – la 4ème fois ! – l'idée 3 fois foireuse d'un parc à dinosaures s’avère encore plus foireuse, vu que les visiteurs ne nourrissent même plus des dinosaures mais un dinosaure mutant... Ce n’est pas un hasard si le scénario de Jurassic World pourrait servir, à la ligne près, à son remake par les spécialistes de la série Z de The Asylum. Le blockbuster "rebootmakepresequel" a intégré son devenir nanar. De la même manière que Police Academy 7 en son temps. Sauf que lui a un alibi : il peut se revendiquer comme postmoderne, nous invitant à considérer toute création comme un antidote à sa naissance ; tout est dans tout, y compris son inverse, etc. Ca donne effectivement envie de se taper sur la tête pour devenir aussi amnésique que Drew Barrymore.
;-P